TRANSHUMANCE, REGRESSION, DEVENIR
Nous sommes une race en transhumance. Le poète ou l’écrivain que le fleuve n’a pas rejetés sur les rives de l’oubli, de même que celui dont nul n’a cure, tous sont des visiteurs qui hantent des antichambres. Entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore, perplexes, nous nous étonnons d’un éternel passage. Une sale attente parfois, des salles d’attente toujours nous hébergent en enfilades dans une gare que le train oublie de visiter.
L’esprit inquisiteur qui jamais n’approfondit sa question mais toujours la côtoie, a relégué sa destination dans l’espace profond et bruissant du vide cybernétique, où l’on se manufacture de nouvelles identités, de nouvelles amitiés, chimériques, éphémères. Entre le réel et le virtuel, incapable d’accéder à cette réalité où devait triompher son pèlerinage, l’humanité 2013 s’égare entre les structures compassées et les formes projetées en arabesque. L’histoire de cette race laborieuse s’épelle par l’alphabet d’une incohérence toujours renouvelée.
Nous sommes en régression. Flux et reflux, la grande Armée se retire vers sa Berezina, un fleuve qui se traverse dans le sens du recul. Pourquoi mais pourquoi donc avons-nous rendu toutes les religions imbéciles, elles qui devaient construire la passerelle vers notre destination ? Et dans le mouvement, nous avons jeté aux orties l’éthique publique et la moralité personnelle.
Un exemple bête : visitons la mémoire d’un bonheur simple, captivé dans tant de livres ou de films, ou le bonheur demandait une expression, palpable, graphique. C’était un foyer avec de beaux enfants et un homme aimant, une femme aimante. Mais non ! Comme tout ce qui était sensé a déjà été connu, il fallait trouver du nouveau à grands coups de pioches dans l’absurde. C’est pourquoi des législations sub-humaines démantèlent la famille et incendient le foyer qu’ont déserté les vestales. Fières d’innover, les tendances et leurs modes nous bousculent et sonnent le glas du bon sens.
Ce cheminement obtus vers la décadence ne laissera en signature qu’une souillure, celle d’une planète si belle que nous ne la méritions pas. Zola dirait ‘j’accuse’, les oubliés s’indignent mais ceux qui nous contrôlent s’en foutent.
Nous sommes en devenir car l’abolition des anciennes formes, toujours appelle celles qui les remplacent. Homo homini lupus ? Certes, Rousseau n’a pas gagné cette bataille et le sourire de Voltaire nous dit que Hobbes avait raison.
Mais nous pouvons changer, plus dauphins que requins, un jour, peut être, enfin. Bien sûr girondins et jacobins, mencheviks ou bolcheviks, trotskystes et maoïstes pensaient y être arrivés. Mais, voilà, il y a toujours des illusions d’optique. Bien des pèlerins arrivent aujourd’hui au lieu ou la réalité existe et cela est une bonne nouvelle, car, en dernière analyse, il vaut mieux élire domicile dans le réel que le virtuel. Il dure bien plus longtemps. Être ou ne pas être, telle n’était pas la question. C’est la réponse.