Badinage fictif entre la comtesse de *** et Charles Joseph Lamoral Prince de ligne
« Prince vous ne sauriez perdre votre honneur sur le champ de bataille. Pourquoi perdrais-je le mien sur celui que vous m’offrez? » La comtesse se refuse à celui qui fut un des plus aimables et impénitents séducteurs de son siècle. Cela continue ainsi. Mais madame, l’amour me jette à vos pieds et ce que je vous propose n’est qu’une bien douce victoire. – Vous êtes coureur Monsieur, et les amours que vous chassez sont ceux des étourneaux. Mais moi je sais l’amour qui fait tressaillir la terre car il ne se donne qu’à celui qui sait s’y ancrer. J’aime bien et j’aime mieux lorsque je n’aime qu’un seul homme. Certes vous survolez le terroir et voudriez sans doute y picorer. Mais vous ne savez labourer. Vous êtes charmant mon prince, la reine elle-même en convient. Charmez-moi donc mais séduisez-en d’autres. L’amour qui reste est plus aimable que l’amant qui passe. – Ah comtesse, si mon cœur était si léger, il vous aurait échappé. Mais non seulement vous me l’avez pris. Vous me le brisez. – Allons je vous le rends, intact et de bon cœur. Exposé a tous les vents, prenez garde qu’il ne s’enrhume. – Ainsi vous me fuyez telle une ombre dans la brume ? – Vous vous consolerez vite, qu’elles soient rousses, blondes ou brunes. – Ah diable, si cruelle et pourtant philosophe! – Vous trouverez une mandoline pour soupirer sous la lune. – Je dois m’avouer vaincu. Vous tournez trop bien vos strophes. – Et vous prince, vous tournez trop bien les têtes. Mais qu’y puis-je ? Je trouve les amants trop bêtes. Quels que soient les compliments qu’ils me tressent, je ne serai qu’épouse et non pas maîtresse. – Vous déroulez les vers comme l’on décoche les flèches. Les dames de la Cour sont aimables et volages. C’est bien ma chance de tomber sur une qui soit si sage. Restons amis. Ce qui est rare n’a pas de prix. » C’était la fin du siècle et les dames de bonne compagnie étaient si faciles que le prince observa ne pas avoir besoin des femmes de la mauvaise. Elles tombaient plaisamment dans les bras de leurs soupirants avant que leurs têtes ne tombent dans le panier de l’échafaud. Sic transit… Quant à la comtesse, il en eût fallu davantage comme elle. Le septième prince de Ligne mourut en exil à Vienne, son château de Beloeil en Belgique confisqué par la révolution française. Les gens de son monde se promettaient de ramener Napoléon dans une cage de fer. Mais nul ne savait comment attraper un tel oiseau. Cependant ni l’empire ni la république ne rendirent à la France la vertu que la monarchie lui avait perdu. |